Grâce à un mécénat exceptionnel des Amis du Louvre, L’Âme brisant les liens qui l’attachent à la terre, l’ultime tableau de Prud’hon, un chef-d’œuvre de près de trois mètres de haut représentant une figure féminine nue qui s’élève au dessus du sol et échappe à la morsure d’un serpent symbolisant le Mal qui règne sur la terre a fait son entrée sur les cimaises des salles rouges du musée du Louvre.
Le sujet évoque la réalité sombre des dernières années de l’artiste : à la douleur qui suivit le suicide de Constance Mayer, sa compagne et collaboratrice, s’ajoutaient les tracas financiers et familiaux. Ses amis rappellent qu’il aspirait à quitter une existence terrestre marquée par le malheur. S’agit-il du testament pictural de Prud’hon ? Il n’y avait pas encore porté les dernières touches lorsqu’il s’éteignit en février 1823.
Cette femme légèrement drapée et dotée de grandes ailes d’oiseau ne correspond pas à l’iconographie commune de l’âme, tant dans l’art chrétien que dans la tradition gréco-romaine de l’Antiquité. Prud’hon a emprunté cette forme à l’allégorie de la Victoire (ou de la Renommée), à laquelle il ôte simplement des mains les couronnes de laurier. Cette habile fusion permet au peintre d’enrichir le sens de l’allégorie : la mort n’est pas seulement la fuite de l’âme hors du corps, c’est le triomphe de la lumière sur la nuit, de la beauté sur la corruption. Cette idée est nourrie de références philosophiques néoplatoniciennes et chrétiennes, mais jamais aucun artiste ne lui avait donné une forme aussi simple, majestueuse et gracieuse.
L’Âme brisant les liens aurait dû connaître une immense postérité : par respect ou par jalousie, sa notoriété est restée confidentielle, réduite à un petit cercle d’artistes et d’amateurs dévots (Trézel, Devéria, Marcille). C’est donc aujourd’hui, grâce à un don exceptionnel des Amis du Louvre, que l’Âme accède à une nouvelle forme d’immortalité, celle qu’offre le musée.