Réapparue après plus de cent cinquante ans de silence, cette aiguière provenant de la collection Rothschild vient compléter un service de vaisselle en faïence historiée destiné à la marquise de Mantoue, Isabelle d’Este (1474-1539), dont le Louvre réunit déjà trois merveilleux éléments : un grand plat illustrant l’Histoire d’Orphée et d’Eurydice, une coupe ornée du Festin de Didon et Enée, tous deux entrés au musée par dation en 2007, et une assiette représentant Abimélech épiant Isaac et Rébecca provenant du legs de la baronne Salomon de Rothschild en 1922. Un document d’archives capital nous donne le contexte de la commande de ce service de table, dont on conserve vingt-trois plats, assiettes ou coupes, et cette aiguière, unique objet de forme : dans une lettre du 15 novembre 1524, la fille d’Isabelle, Éléonore Gonzague (1493-1550), duchesse d’Urbino, annonce à sa mère l’envoi d’un « service de vases de terre » destiné à la villa de Porto, sa retraite favorite en périphérie de Mantoue. Il s’agit de l’une des plus prestigieuses commandes depuis le retour au pouvoir au Duché d’Urbino de Francesco Maria Della Rovere en 1521, adressée à l’un des plus talentueux peintres de majolique d’Urbino, Nicola di Gabriele Sbraghe, dit Nicola da Urbino. L’œuvre présente un décor peint en polychromie sur fond bleu. Le vocabulaire décoratif est celui des « grotesques sur fond coloré». Au milieu de ce répertoire antiquisant apparaît à deux reprises, sur le col, le blason d’Isabelle d’Este, accompagné sur la panse et le bec de sa devise NEC SPE NEC METU (ni espoir, ni crainte), de ses initiales YS ainsi que de plusieurs de ses emblèmes personnels : la partition de musique, le candélabre d’or, le creuset, le nombre XXVII, les lettres grecques Alpha et Oméga. Ce chef-d’œuvre de l’art de la majolique nous raconte le succès que ces «images» énigmatiques, dotées d’une signification symbolique qui nous échappe encore parfois aujourd’hui, eurent auprès d’une clientèle humaniste cultivée.
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