Jusqu’en 1993, date d’entrée au Louvre de ce Christ en croix, l’un des représentants majeurs de la peinture française du XVe siècle manquait à la séquence, pourtant admirable par sa qualité et sa cohérence, des primitifs français du musée : Barthélemy d’Eyck, en qui la plupart des critiques reconnaissent aujourd’hui le Maître de l’Annonciation d’Aix et le Maître du Cœur d’Amour Epris, le célèbre enlumineur attaché au roi René d’Anjou.
Le Christ en croix
Manifestement fragmentaire, le tableau est sans doute le vestige d’un modeste retable en longueur, ou plutôt, compte tenu des proportions réduites du Christ, de l’élément central de la prédelle d’un polyptyque. Plus que le beau fond coloré rehaussé de motifs au pochoir que l’on retrouve certes au dos des volets du triptyque de L’Annonciation d’Aix, mais aussi chez d’autres peintres provençaux, le canon massif du corps du Christ, le visage presque sauvage aux cheveux hirsutes, aux lèvres épaisses et aux yeux globuleux, animés de ce regard singulier, « glissant de côté », pour reprendre l’expression de Charles Sterling, apparaissent comme la signature de l’artiste. Cette approche analytique du réel, héritée des frères Van Eyck et de Robert Campin auprès de qui Barthélemy a dû se former, ainsi que l’évocation résolument charnelle et poignante de l’agonie du Christ contrastent avec la manière élégante et stylisée d’Enguerrand Quarton, actif à Aix et à Avignon durant ces mêmes années.